Anne Boyer, PhD
Professeur en informatique, Université de Lorraine Universités numériques thématiques (UNT) Directrice, KIWI (Knowledge, Information and Web Intelligence)
Chercheure, LORIA (Laboratoire lorrain de recherche en informatique et ses applications)
Octobre 2017 contactnord.ca
Learning Analytics – Passing Fad or Opportunity Anne Boyer
English Synopsis
Learning Analytics represent a natural progression in the use of information technology in post-secondary education. Teaching and learning technology is a key contributor in meeting demographic and financial pressures on institutions, in providing access and mobility for students and in improving the efficiency of pedagogical and learning strategies for varied types of learners.
In this broader context, Learning Analytics offer new ways of providing feedback to students and to teachers using big data collected through various teaching and engagement mechanisms, to render this information visual, understandable and actionable – to provide insights for the learner, the teacher and the institution.
This article surveys up-to-date research, technologies and best practices. It argues that students are ready and waiting for the change and that teachers are open to innovations that improve learning efficiency. Post- secondary institutions are now called upon to mobilize resources to implement Learning Analytics.
LES LEARNING ANALYTICS : MODE OU OPPORTUNITÉ ?
Le numérique a apporté à chacun les moyens d’être plus mobile, de s’affranchir des distances, de nouer de nouvelles sociabilités, d’accéder à de vastes champs de connaissance... C’est là un gain en capacités, partagé par le plus grand nombre. Un nombre plus restreint d’individus peut et sait mobiliser le numérique pour créer, partager et diffuser des savoirs.
La technologie, et le numérique en particulier, ont fait irruption dans l’éducation, comme dans tous les secteurs de la société. Dans
l’enseignement primaire, secondaire ou supérieur, les enseignants sont de plus en plus souvent incités à utiliser des technologies numériques dans leurs pratiques pédagogiques. La plupart des institutions éducatives disposent désormais d’une plateforme pédagogique (Environnement Virtuel d’Apprentissage), sur laquelle sont accessibles divers services numériques (communication, réseau social, travail collaboratif par exemple), des contenus numériques (manuels numériques, matériaux mis à disposition par les enseignants, supports de cours, ressources éducatives libres, MOOCs, cours en lignes, ...) et des outils (auto-évaluation, positionnement, annotations de vidéos, blogs, portfolios, wikis, moteurs de recherche, anti-plagiats ...).
Si la réalité de l’usage du numérique en éducation est désormais évidente et peut être aisément constatée au travers d’une littérature abondante
de retours d’expériences et des données collectées par des organismes internationaux comme l’UNESCO ou l’OCDE, une question essentielle doit être posée à propos de son efficacité sur l’apprentissage : cette prolifération numérique impacte-t-elle favorablement la manière dont les apprenants étudient, que ce soit en distanciel ou en présentiel ?
EDUCATION ET NUMÉRIQUE, UNE ALLIANCE FRUCTUEUSE.
Indéniablement, le numérique a impacté la manière dont l’enseignement est dispensé, que ce soit en présentiel ou à distance. Les avantages constatés sont nombreux et divers comme le montrent différentes synthèses[1],[2] fondées sur des études de cas collectées à travers le monde.
Le numérique, pour un accès facilité à l’éducation supérieure.
Le numérique a permis l’accès à l’éducation à un grand nombre d’apprenants, dont les contraintes géographiques, organisationnelles, financières par exemple, ne permettaient pas l’accès à l’enseignement traditionnel. Et lorsque l’on sait qu’il faudrait construire ne serait-ce qu’en France, 4 nouvelles universités de taille moyenne chaque année pour accueillir l’augmentation du nombre d’étudiants liée à la démographie, que l’Europe a défini un objectif de 50% d’une classe d’âge au niveau licence, que le monde dans son ensemble a un besoin croissant en formation supérieure pour accompagner son développement, que mobilité et internationalisation sont des enjeux majeurs, que la formation tout au long de la vie devient un enjeu majeur de société, il apparaît clairement que le numérique est une solution pertinente et efficace.
Le numérique, pour l’amélioration des conditions d’apprentissage.
La captation et la diffusion (ciblée ou non) de cours sont des technologies disponibles depuis de nombreuses années, leur usage relevant le plus souvent de la décision de l’enseignant, même si certaines institutions encouragent l’enregistrement dans des salles équipées.
Prenons l’exemple de l’Université de Manchester[3] (UK) où en septembre 2015, 42 000 cours avaient été enregistrés (soit 80% des cours existants). 95% des étudiants interrogés voulaient voir le système utilisé encore plus largement[4]. Malgré la réticence initiale de certains enseignants qui craignaient la désertification des amphithéâtres, la réalité a montré que ce n’était pas le cas. Dans les faits, les étudiants utilisent les enregistrements comme un outil complémentaire de prise de notes, leur permettant de suivre le cours efficacement et d’y participer activement. L’étudiant a ainsi la possibilité de devenir un acteur de ses cours, et non pas un simple assistant absorbé dans une prise de notes parfois mal maîtrisée.
Le numérique, un facteur d’efficacité pédagogique.
Un exemple de l’apport positif de la technologie numérique dans les enseignements présentiels est fourni par l’Université de Strathclyde et celle de Bristol (UK) pour les matières incluant une partie pratique de manipulation en laboratoire. Les étudiants doivent préparer leur séance de travaux pratiques à partir de contenus et d’activités en ligne obligatoires, de manière à maîtriser l’environnement du laboratoire et à être réellement efficaces lors du temps dédié à la manipulation. De plus, ils sont encouragés à partager leurs résultats et observations en ligne, à les commenter et les analyser, développant ainsi de nouvelles compétences utiles dans leurs études et dans leur métier futur.
Ce retour d’expérience est une illustration de ce que le numérique permet en terme d’efficacité pédagogique : les étudiants sont préparés au travail qui va leur être demandé. De même, les classes inversées sont facilitées par la diffusion numérique des contenus, permettant une utilisation du temps passé en salle de classe plus rationnelle et plus active pour l’apprenant.
Le numérique, pour préparer à la vie professionnelle.
La technologie peut aussi être utilisée pour préparer des étudiants à leur vie professionnelle, en en facilitant la mise en situation.
C’est par exemple le cas de l’Hôpital virtuel[5], à l’Université de Lorraine (France) qui permet notamment aux futurs chirurgiens de s’entraîner autant que nécessaire aux gestes chirurgicaux, de manière à les maîtriser avant leur premier passage en salle d’opération (principe du « jamais la première fois sur un patient »).
Un autre exemple est donné par l’Université de Greenwich (UK) et sa clinique juridique virtuelle qui permet à des groupes d’étudiants de collaborer pour élaborer des conseils juridiques en réponse à des questions du public, avec le soutien de professionnels ou d’enseignants.
L’engagement numérique, un facteur de réussite.
La société Civitas Learning[6] a publié en juin 2016 une enquête auprès d’environ 25 institutions utilisatrices d’une plateforme d’apprentissage. Une conclusion particulièrement intéressante est que l’utilisation de la plateforme est un bon indicateur de succès de l’apprenant, même dans les institutions où les enseignements ont essentiellement présentiels.
De même, la California State University Chico[7] a indiqué que pour elle, les variables liées à l’usage de la plateforme sont 4 fois plus fortement corrélées au succès que les données démographiques. L’usage du numérique, au moins d’une plateforme numérique d’apprentissage, est un facteur de succès.
Le numérique, facteur d’amélioration de l’apprentissage.
Une étude récente[8] menée au Royaume-Uni sur environ 7 000 étudiants de l’enseignement supérieur, a conclu que près de 3/4 d’entre eux considèrent que la technologie améliore leur apprentissage quand elle est utilisée efficacement par les enseignants.
De même, une étude publiée en 2017 sur la technologie dans l’éducation pré-universitaire en Nouvelle-Zélande[9] montre l’apport positif du numérique sur l’apprentissage (cf. Figure 1), et en particulier sur la motivation et l’engagement des apprenants. Pour presque 80% des directeurs d’école sondés, le numérique a un impact positif, moins de 10% pensent que le digital a peu ou pas d’effet.
Ainsi près de 90% des directeurs d’école considèrent que le numérique facilite l’accès à des ressources d’apprentissage de qualité et à des informations en ligne pour les enseignants et les apprenants. Pour 82% d’entre eux il rend l’apprentissage plus efficace, plus motivant pour les élèves et permet une personnalisation réelle de l’éducation.
Comme le mentionnent Susan O’Hara et Robert Pritchard[10], la littérature scientifique suggère que la technologie peut aussi avoir un impact positif sur l’estime de soi et sur la confiance en soi des étudiants, notamment pour les étudiants à risque[11].
Le numérique, source de difficulté.
Toutefois, d’autres études montrent que le numérique peut aussi être source de difficulté, notamment (mais pas exclusivement) en enseignement en ligne. Ainsi, les étudiants les plus faibles et les moins bien préparés peuvent avoir des difficultés à suivre des enseignements en ligne, plus que lors d’enseignements présentiels (même si ceux-ci leur sont peu ou pas accessibles).
Par exemple, l’université DeVry[12] (USA) offre chaque cours à la fois en ligne et en présentiel. Les deux enseignements sont identiques (même syllabus et même manuel, même nombre d’apprenants et le plus souvent même enseignant). La principale différence réside dans le mode de communication. En ligne, toutes les communications sont numériques et le plus souvent le cours est donné sous forme de vidéos, généralement la version en ligne n’est qu’une transposition digitale du cours présentiel. Les effets négatifs des cours en ligne sont concentrés sur les étudiants avec les moins bonnes performances et les compétences les plus faibles. Des résultats similaires sont observés dans les MOOCs, où les apprenants qui réussissent étant en général ceux avec un haut niveau d’éducation[13].
De nouveaux défis à relever.
Il faut imaginer de nouveaux moyens de répondre aux besoins des étudiants, en terme notamment de personnalisation, d’engagement et de motivation apprenante et aux besoins des enseignants de mieux comprendre les attentes spécifiques de chaque apprenant. La technologie et la recherche informatique peuvent-elles aider à répondre à ces enjeux essentiels ?
MAINTENIR LA RELATION PÉDAGOGIQUE, UN ENJEU DU NUMÉRIQUE EN ÉDUCATION.
Si comme nous venons de le voir, les innovations et technologies numériques, lorsqu’elles sont bien utilisées et pertinemment intégrées dans la pédagogie, favorisent la diffusion et l’appropriation des savoirs. Force est de constater qu’elles affaiblissent la boucle de retour entre l’enseignant et l’apprenant, en introduisant un voile numérique entre les deux acteurs de la relation pédagogique[14]. De nombreux indices sur l’engagement et la motivation étudiants sont aisément accessibles à l’enseignant dans les situations d’apprentissage en présentiel (bruit de fond, dissipation, assoupissement, ...), mais deviennent difficiles à percevoir au travers des outils numériques[15]. Une question se pose alors : comment recréer la même qualité de relation en situation d’apprentissage assisté par le numérique ? Voire, est-il possible de la renforcer en fournissant à l’enseignant des indicateurs ou des prédicateurs à même de lui faciliter la tâche ? Ou à l’apprenant des moyens lui permettant de mieux contrôler son parcours d’apprentissage ?
Les traces numériques, un potentiel à exploiter.
Par l’utilisation de terminaux mobiles, de connexions WIFI, de plateformes de gestion de contenus éducatifs (LMS), de services numériques de communication, d’outils de travail collaboratif et de media sociaux,
une grande partie du processus d’apprentissage produit des traces numériques qui peuvent être collectées. Ainsi lorsqu’un étudiant se connecte à sa plateforme d’apprentissage, il génère automatiquement et de façon transparente des données dont on peut extraire ses motifs de navigation, ses pauses, ses préférences de lecture – vidéos, textes, …-, et beaucoup d’autres choses. En effet, la généralisation de l’usage du numérique dans l’enseignement conjointement à l’apparition de technologies permettant la capture, le stockage, la recherche, le partage, l’analyse et la visualisation de données massives (Big Data) a permis la constitution de corpus massifs de données sur les profils et les comportements des apprenants. Plus généralement, les universités, écoles, collèges et lycées collectent des informations nombreuses et variées sur leurs élèves, par exemple lors des inscriptions, des examens, dans les environnements numériques d’apprentissage ou les systèmes de prêt des bibliothèques. Les Systèmes d’Information pédagogiques sont une autre source d’informations précieuses, cette fois structurée et organisée. Les travaux de recherche permettant l’exploitation conjointe ou non de ces sources d’informations sur l’apprentissage se sont multipliés, dans le but d’améliorer la qualité des dispositifs, de permettre aux enseignants de mieux évaluer les processus d’apprentissage et aux apprenants d’être plus efficaces dans leur démarche d’apprentissage. Ces dernières années ont ainsi vu l’émergence d’une discipline nouvelle : les Learning Analytics[16].
Vous avez dit Learning Analytics ?
Les Learning Analytics, ou analyse des données de l’apprentissage, s’intéressent à la collecte, l’analyse, la modélisation, la synthèse et la communication des données relatives aux apprenants et à leurs environnements, afin de mieux comprendre et améliorer l’apprentissage. Les Learning Analytics œuvrent à rendre lisible et interprétable l’énorme quantité de données d’apprentissage collectées. En effet, l’idée qui motive les Learning Analytics est d’exploiter les réservoirs de données disponibles pour améliorer la connaissance que l’on a des mécanismes sous-jacents à l’apprentissage, personnaliser ou adapter les approches pédagogiques utilisées et assister les étudiants dans leur processus d’acquisition de connaissances.
L’Open University[17] publie régulièrement un rapport sur les plus fortes tendances de l’innovation pédagogique dont la 3ème édition, parue fin 2014, mentionne la conception dynamique de parcours à partir des Learning Analytics. De même, le rapport Horizon 2016[18] indique les Learning Analytics comme un outil important pour permettre aux universités de répondre aux enjeux éducatifs et aux besoins d’apprentissage de notre société.
LES LEARNING ANALYTICS, POUR QUOI FAIRE ?
Le rapport « Learning Analytics – Leverage for your LMS Data » de 360Learning[19] mentionne quatre applications principales pour les Learning Analytics : l’amélioration des apprentissages, la personnalisation des dispositifs d’apprentissage, la détection du comportement des apprenants, l’évaluation de l’efficacité des échanges collaboratifs et l’identification des membres influents du réseau.
Alerter en amont un enseignant sur les points de difficulté rencontrés par un élève spécifique ou par une classe pour lui permettre d’intervenir au plus tôt, déterminer si un étudiant risque d’échouer à un examen ou à un contrôle afin de lui suggérer des actions correctives à entreprendre quand il est encore temps, estimer quelles interventions pédagogiques ont ou pourraient avoir le plus d’impact sur une classe, peut se révéler un outil intéressant afin d’enrichir les interactions enseignants/enseignés, d’inciter les apprenants à suivre eux-mêmes leur progression et favoriser un dialogue pédagogique de qualité. L’exploitation des traces d’interaction en situation d’apprentissage permet différents types de retours d’expérience, vers l’apprenant, le tuteur ou le formateur, les pairs, le concepteur de la ressource ou l’institution, le plus souvent sous la forme synthétique d’indicateurs ou de recommandations personnalisées. Les Learning Analytics ne se contentent pas d’analyser les résultats de l’apprentissage, mais fournissent une vision globale et dynamique du processus d’apprentissage ainsi que des informations pertinentes pour l’aide à la décision dans l’établissement des politiques éducatives.
Le schéma de Gartner[20] (cf. Figure 2) permet de synthétiser ce que font les Learning Analytics en quatre catégories :
- Les Analytics descriptifs, qui répondent à la question « que s’est- il passé ? ». Ainsi, à partir de l’analyse des traces disponibles, l’objectif peut être de connaître le positionnement relatif d’un étudiant par rapport à ses pairs, en fonction de critères prédéfinis. Un exemple est fourni Figure 3.
- Les Analytics de diagnostic, qui répondent à la question « pourquoi est-ce arrivé ? ». Il s’agit de déterminer des facteurs explicatifs des comportements observés, par exemple quels facteurs peuvent expliquer l’échec à un module d’un étudiant.
- Les Analytics prédictifs, qui répondent à la question « que va-t-il se passer ? ». Il s’agit d’anticiper le futur, en considérant ce que l’on connaît du passé. C’est par exemple le cas de la prédiction de l’échec d’un étudiant à un module.
- Les Analytics prescriptifs, qui répondent à la question « que faut- il faire pour que cela se produise ? ». Un exemple est celui des systèmes de recommandation qui fournissent des préconisations sur les ressources à consulter, les actions à entreprendre ou les tâches à accomplir, afin d’atteindre un objectif d’apprentissage prédéfini ou estimé.
Les outils fournis par les Learning Analytics peuvent être classés en trois grandes catégories :
- Les indicateurs et prédicateurs (cf. Figure 3).
- Les outils de visualisation, et notamment les tableaux de bord (cf. Figure 4).
- Les systèmes d’intervention, et notamment les systèmes de recommandation (cf. Figure 5).
LES LEARNING ANALYTICS, ÇA MARCHE ?
Il existe de nombreuses expérimentations menées essentiellement dans le monde anglo-saxon, dont les résultats montrent d’indéniables apports des Learning Analytics. Parmi tous les retours d’expérience disponibles (JISC[23], Educause[24], SOLAR[25], conférence LAK[26]), je n’en retiendrai ici que quelques-uns, pour l’intérêt des leçons tirées.
Des systèmes performants.
Le premier exemple est fourni par le New York Institute of Technology (USA), qui indique que 74% des étudiants qui ont abandonné avaient été prédits “à risque” par le modèle prédictif. De même, le Marist College (USA) dispose d’un modèle prédictif qui fournit aux étudiants un retour anticipé, leur permettant de traiter le problème avant qu’il ne soit trop tard. Marist College a constaté une augmentation de 6% du résultat final des étudiants “à risque” qui ont reçu une alerte. Nous pouvons donc en déduire que les Learning Analytics donnent des résultats prometteurs en termes de performance.
Le second exemple provient de Perdue University (USA) et de son système d’alertes appelé Course Signal[27]. Course Signal fournit une alerte anticipée aux étudiants et aux enseignants à propos du risque d’échec à l’examen du module. Le système est déclenché par l’enseignant, à des moments spécifiques de son cours, lorsqu’il juge l’action pertinente. L’étudiant reçoit alors une alerte, l’informant de la catégorie la plus probable le concernant. Il existe trois catégories différentes : étudiant avec un fort risque d’échec au cours, étudiant avec un risque modéré d’échec au cours, étudiant sans risque d’échec au cours. La métaphore du feu de signalisation (cf. Figure 6) est utilisée, permettant comme le soulignent les étudiants, une compréhension immédiate du niveau de risque.
L’objectif premier de cette expérimentation était de déterminer les étudiants en difficulté et d’intervenir pour leur permettre de modifier leur comportement avant qu’il ne soit trop tard. Cette expérience est particulièrement intéressante, car elle a pu être réalisée sur plusieurs années, avec des évaluations à la fois qualitatives et quantitatives. Les indicateurs de réussite du projet concernent la performance académique (les résultats des étudiants sont-ils meilleurs pour les étudiants qui bénéficient de Course Signals que pour les autres), le taux d’abandon sur les deux premières années[28] et la perception de l’outil qu’ont à la fois les étudiants et les enseignants.
Le premier résultat concerne l’efficacité du système. Par exemple, pour tous les cours d’un semestre incluant Course Signals, on constate une augmentation de 10,37% du nombre d’étudiants qui ont obtenu un A ou un B, relativement à ceux qui n’en ont pas bénéficié. La Figure 7 montre que les abandons sont nettement moins élevés pour les étudiants qui bénéficient de Course Signals, que pour les autres.
Les conclusions des évaluations qualitatives sont particulièrement instructives : pour 85% des 1 500 étudiants qui ont participé à l’enquête, le bilan est positif et 58% d’entre eux demandent à ce qu’il soit plus largement utilisé dans les cours.
Le premier impact est le retour en termes de communication. Recevoir un message d’alerte (considéré par les étudiants comme un message entre l’enseignant et eux) est vu comme très positif, car les étudiants ont l’impression d’être considérés et non plus simplement d’être un nombre, ce qui est particulièrement important pour les primo arrivants au semestre 1. 74% disent que leur motivation a été positivement impactée, les engageant à modifier leur comportement. De plus, le message est jugé clair et informatif, puisqu’ils savent où trouver de l’aide. Toutefois, les étudiants souhaiteraient un message plus spécifique qu’une simple alerte : savoir que l’on est “à risque” est une chose, comprendre pourquoi et savoir comment réagir, en sont d’autres. Les étudiants demandent au fond deux choses : la transparence des algorithmes (comment expliquer et justifier l’alerte qui est transmise), l’accompagnement pour réagir à une alerte rouge ou orange.
Le point de vue des enseignants est aussi intéressant : ils trouvent les étudiants plus pro-actifs, ils s’impliquent dans leur projet plus tôt, posent davantage de questions. Le retour des enseignants est donc plutôt positif, même si ils sont prudents : ils craignent que ne se crée une dépendance des étudiants au système, et que le système ne favorise pas le développement de l’autonomie indispensable. De plus, ils réclament le partage de conseils, de pratiques et d’usages, et au fond, ils expriment le besoin d’être formés sur le bon usage des Learning Analytics.
D’autres expérimentations montrent que simplement rendre les étudiants conscients d’un problème d’insuffisance peut suffire à les faire réagir (Marist College).
Les apports des Learning Analytics ne se limitent pas aux performances académiques, mais aussi à la rationalisation des coûts, à l’amélioration des cursus et l’augmentation de la qualité des enseignements, la personnalisation des apprentissages, au design des lieux d’apprentissage, au développement d’un sentiment communautaire, ...[29]
LES ÉTUDIANTS SONT-ILS PRÊTS POUR LES LEARNING ANALYTICS ?
Outre l’impact des Learning Analytics sur les apprenants et leur comportement d’apprentissage, deux facteurs sont à prendre en considération : le premier concerne l’accord des étudiants pour partager leurs données, le second leur accompagnement à la prise en compte des informations, alertes et autres recommandations fournies afin de les exploiter au mieux.
Une enquête récente, menée par le JISC en 2016 auprès d’étudiants britanniques, indique que 71% des étudiants sondés seraient heureux si leur université utilisait des données comme les données d’usage de leur environnement virtuel d’apprentissage, de la bibliothèque, ... pour améliorer leurs résultats aux examens[30]. Seuls 12% se disent opposés, ce qui est relativement faible et montre l’importance que les étudiants accordent à tous les outils et services qui permettent de faciliter leur parcours d’apprentissage et d’augmenter leur efficacité.
Une autre étude menée en Australie confirme ce résultat[31]. L’objectif était de connaître l’opinion et les préférences des étudiants sur les systèmes d’alertes au plus tôt. Sur les 639 répondants, dont 62% sont en première année, 79% déclarent vouloir être alertés si leur performance à un module est insuffisante, dont 67% aussitôt que cela est possible, de manière à pouvoir réagir. 72% veulent être alertés notamment si leurs résultats sont jugés insuffisants, 63% veulent savoir comment ils se situent relativement à leurs pairs, 57% si c’est parce qu’ils ne travaillent pas assez. Il apparaît que là aussi les étudiants ressentent le besoin d’un retour aussi tôt que possible sur leur manière de travailler.
De plus, les attentes des étudiants ont évolué. Une enquête[32] menée en 2014 auprès de 21 000 étudiants dans 21 pays, a permis de les mettre en évidence : les étudiants souhaitent un apprentissage plus flexible adapté à leurs contraintes et leurs besoins, incluant davantage de travail collaboratif. 64% d’entre eux aspirent à une évaluation prenant en compte certes leur performance académique individuelle mais aussi leur performance collaborative, et 43% réclament un tutorat personnalisé en ligne.
Ces deux points forts de leurs aspirations en matière d’éducation nécessitent clairement le recours aux Learning Analytics.
POUR CONCLURE
Si il semble que les étudiants soient prêts à partager leurs données d’apprentissage pour apprendre mieux et réussir d’avantage, il reste une question fondamentale : leurs enseignants sont-ils prêts pour les Learning Analytics ? Bien sûr, les enseignants sont favorables dans leur grande majorité à toute innovation ou tout dispositif qui améliorent la relation d’apprentissage et son efficacité. Même si ils expriment des réticences initiales, ils se laissent convaincre par l’exemple, comme ce fut le cas par exemple pour la captation vidéo (cf. plus haut l’expérimentation au Royaume-Uni). Il est aussi indispensable de les accompagner dans l’exploitation efficace de ce nouvel outil, afin de ne pas les encombrer d’informations inutiles et de leur permettre d’exploiter dans leurs propres pratiques au mieux les tableaux de bord, outils de visualisation, indicateurs et prédicateurs qui leur sont fournies.
Les apprenants et les enseignants sont évidemment des acteurs essentiels de l’usage des Learning Analytics. Toutefois, c’est l’institution qui a cette fois le rôle essentiel : c’est à elle d’initier la mise en place de Learning Analytics. En effet, les principaux défis à relever par les Learning Analytics ne sont pas uniquement scientifiques et techniques mais aussi organisationnels. Certes, il faut organiser la collecte de données suffisamment représentatives de l’activité d’apprentissage (les données sont souvent éparpillées), travailler à la motivation des différents acteurs et en particulier des enseignants, mais aussi des étudiants. Mais il faut aussi résoudre les aspects éthiques et déontologiques puisque des questions aussi fondamentales que « à qui appartiennent les données collectées sur un étudiant ? » par exemple ou « comment rendre compte de son activité à un apprenant sans le décourager ou le démobiliser » doivent être résolues. Mais les institutions sont-elles prêtes ? Si il existe des méthodologies et des indicateurs pour accompagner les institutions dans leur démarche Learning Analytics[33], Car comme le rappelle le rapport ECAR 2016 sur les Learning Analytics[34], le succès de l’adoption des Learning Analytics passe par un soutien clair et une implication forte de la gouvernance. Les gouvernances de nos institutions sont-elles prêtes à relever le défi ?
[1] [Broken Links]
[2] De nombreuses autres expérimentations peuvent être trouvées dans www.hepi.ac.uk
[3] Rebooting learning for the digital age: What next for technology-enhanced higher education?
[4] [Broken Link]
[5] [Broken Link]
[7] rapport JISC sur les Learning Analytics, 2016.
[8] Tabetha Newman, Helen Beetham and Sarah Knight, Student digital experience tracker 2016: re- sults from the pilot project, Jisc, 2016, http://repository.jisc.ac.uk/6671/1/Tracker2017insights.pdf
[9] https://2020.org.nz/wp-content/uploads/2014/05/Digital-Technologies-in-Schools-2016-17-04-05-2017-FINAL.pdf
[10] Pearson Allyn Bacon Prentice Hall, Updated on Apr 30, 2014. Accédé en ligne en aôut 2017 à https://www.education.com/reference/article/what-impact-technology-learning/
[11] O’Donnell, 2005; Kenny & Gunter, 2004; Taylor, Hasselbring, & Williams, 2001.
[12] Promises and pitfalls of online edcation, Eric Bettinger and Susanna Loeb, in Evidence Speaks report, vo.2, #15, June 9, 2017, Brookings.
[13] D-Transform O1.A3
[14] Ali, Hatala, Gasevic, Jovanovic, 2012
[15] Shane, Dawson, Bakharia & Hethcote 2010
[16] ou analyse des données de l’apprentissage. La communauté française n’ayant pas converge vers un terme commun, nous utiliserons Learning Analytics dans la suite de ce rapport.
[17] Le numérique dans l’enseignement supérieur et la formation tout au long de la vie. Enjeux et perspectives en France et à l’international. Accessible à https://www.wavestone.com/app/uploads/2017/03/numerique-enseignement-superieur-formation.pdf
[18] N.M.C. Horizon Report : 2016 Higher Education Edition. Accessible à http://www.sup-numerique.gouv.fr/cid98549/n.m.c.-horizon-report-2016-higher-education-edition.html
[19] Dead link
[20] accessible à http://blogs.gartner.com/matthew-davis/top-10-moments-from-gartners-supply-chain-executive-conference/
[21] présentations données lors du Leadership Summit ICDE, NAncy France 2017. Accessible en ligne sur ICDE.ORG
[22] https://orpheerdvperso.files.wordpress.com/2016/06/orphee-rdv-atelier-perso-roussanaly-et-al-2017.pdf
[27] Course Signals at Purdue: Using Learning Analytics to Increase Student Success, Kimberly E. Arnold & Matthew D. Pistilli, LAK’12, 29 April – 2 May 2012, Vancouver, BC, Canada.
[28] taux qui caractérise à la fois la réussite et la motivation
[29] Learning Analytics, a cultural revolution, Anne Boyer et Geoffrey Bonnin, ICDE 2015.
[30] https://www.timeshighereducation.com/news/jisc-finds-most-students-happy-share-data-learning-analytics
[31] Amary Atif, novembre 2016, Université Macquarie, Australie.
[33] [Broken Link]