Tony Bates, Ph. D.
Associé de recherche, Contact North | Contact Nord
Le Canada a remarquablement bien réagi au défi qui menaçait l’existence même de son système d’éducation postsecondaire. Le système a démontré sa résilience en s’adaptant.
L’année 2020 a été difficile, tant pour la population étudiante que pour le personnel enseignant. Le système d’éducation postsecondaire (étudiantes et étudiants, cadres en administration, corps professoral et personnel enseignant) a démontré une résilience et une capacité d’adaptation étonnantes. Tous ont beaucoup appris sur les forces et les faiblesses de l’apprentissage en classe et en ligne.
Le choc provoqué par le passage à l’apprentissage en ligne en situation d’urgence dans presque tous les collèges et universités a permis de tirer des leçons qui nous seront utiles pour l’avenir. Alors que nous nous apprêtons à planifier l’année 2021-2022 et la vie universitaire et collégiale après la pandémie, quelles leçons pouvons-nous tirer de l’expérience de 2020. Que devons-nous apprendre et DÉSAPPRENDRE?
Il semble bien que l’apprentissage hybride soit l’avenir de l’enseignement postsecondaire canadien. On voit en effet que la COVID-19 a forcé de plus en plus le corps enseignant à apprendre comment concevoir et gérer ce mode d’enseignement. L’accompagnement des cadres en administration, et surtout celui des centres d’appui à l’enseignement et à l’apprentissage, est essentiel. Alors que nous nous apprêtons à sortir de la COVID-19, bien des choses resteront comme avant, mais d’autres changeront pour toujours.
D’où me vient cette information? Depuis mars 2020, je sonde les études sur les effets de l’apprentissage en ligne en situation d’urgence (ici) et j’ai pu travailler avec plusieurs établissements d’enseignement lors de leur passage aux cours en virtuel.
Plusieurs enseignements se dégagent de cette situation, mais certaines des leçons tirées affectent tous les étudiantes et étudiants, le personnel enseignant et les cadres en administration des universités et collèges de l’Ontario.
… avec l’apprentissage hybride, la performance des étudiantes et étudiants est meilleure qu’avec des cours offerts en personne ou en ligne uniquement.
Avant la COVID-19, la recherche nous apprenait qu’au Canada, la résistance du corps professoral était le principal obstacle à l’augmentation de l’apprentissage en ligne. Or, en mars et en avril 2020, tout le personnel enseignant a dû effectuer en toute urgence ce virage. Ce fut une expérience purificatrice.
Dans les faits, l’expérience a été variable. Pour certains membres du personnel enseignant, la transition s’est faite sans anicroche. D’autres ont détesté ce changement et c’est encore le cas aujourd’hui. Il reste que la majorité a pris le virage à reculons sans être complètement satisfaite, mais tous ont quand même appris que bien des choses s’enseignent aussi bien en ligne qu’en classe, sinon mieux. Plusieurs ont aussi réalisé que l’apprentissage en ligne, surtout en télétravail, peut être très satisfaisant et aussi pratique.
En fait, avant 2020, l’apprentissage entièrement offert en ligne augmentait au rythme constant de 10 % par année dans les collèges et universités canadiens jusqu’à constituer, en 2018, 10 % de toutes les inscriptions à des cours donnant droit à des crédits2. Je m’attends à ce qu’après la COVID-19, on assiste à une hausse globale du nombre de cours entièrement offerts en ligne et d’inscriptions. Les cours passés au mode virtuel durant la COVID-19 devraient le demeurer si la demande de la gent étudiante le justifie.
Avant la COVID-19, la recherche nous apprenait qu’au Canada, la résistance du corps professoral était le principal obstacle à l’augmentation de l’apprentissage en ligne. Or, en mars et en avril 2020, tout le personnel enseignant a dû effectuer en toute urgence ce virage. Ce fut une expérience purificatrice.
Dans les faits, l’expérience a été variable. Pour certains membres du personnel enseignant, la transition s’est faite sans anicroche. D’autres ont détesté ce changement et c’est encore le cas aujourd’hui. Il reste que la majorité a pris le virage à reculons sans être complètement satisfaite, mais tous ont quand même appris que bien des choses s’enseignent aussi bien en ligne qu’en classe, sinon mieux. Plusieurs ont aussi réalisé que l’apprentissage en ligne, surtout en télétravail, peut être très satisfaisant et aussi pratique.
En fait, avant 2020, l’apprentissage entièrement offert en ligne augmentait au rythme constant de 10 % par année dans les collèges et universités canadiens jusqu’à constituer, en 2018, 10 % de toutes les inscriptions à des cours donnant droit à des crédits2. Je m’attends à ce qu’après la COVID-19, on assiste à une hausse globale du nombre de cours entièrement offerts en ligne et d’inscriptions. Les cours passés au mode virtuel durant la COVID-19 devraient le demeurer si la demande de la gent étudiante le justifie. La différence que je constate est que le personnel enseignant conçoit délibérément des cours pour mettre à profit les avantages comparatifs des cours en ligne et en présentiel et particulièrement les avantages asynchrones de l’apprentissage en ligne. La recherche démontre qu’avec l’apprentissage hybride, la performance des étudiantes et étudiants est meilleure qu’avec des cours offerts en personne ou en ligne uniquement. La raison est que les étudiantes et étudiants consacrent plus de temps aux tâches (c.-à-d. qu’ils travaillent plus fort) avec l’apprentissage hybride.
J’ai donc bon espoir que nous assisterons à un changement considérable dans les modes de prestation des cours à la suite de la COVID-19 et que ce changement sera profitable aussi bien pour la gent étudiante que pour le personnel enseignant.
La principale leçon à tirer est que nous devons accroître le soutien au personnel enseignant pour toutes les formes d’apprentissage, en présentiel, en ligne ou hybride.
Lorsque les établissements ont eu urgemment à passer à l’apprentissage en ligne au printemps 2020, la plupart des membres du personnel enseignant n’étaient absolument pas préparés .
Many instructors sought and found help in how to teach online, not only from their centres for teaching and learning, but also from online sources such as teachonline.ca.
Toutefois, surtout après la mise en place rapide et temporaire de l’apprentissage en ligne au printemps 2020, on a assisté à une réponse spectaculaire du corps enseignant autant que du personnel des centres d’appui à l’enseignement et à l’apprentissage. Plusieurs membres du personnel enseignant ont demandé et obtenu de l’aide sur la façon d’enseigner en ligne de leur centre d’appui à l’enseignement et à l’apprentissage, mais aussi de ressources comme teachonline.ca. L’article de mon blogue intitulé Advice to those about to teach online because of the coronavirus, (conseils pour enseigner en ligne en raison du coronavirus) a été consulté plus de 55 000 fois, surtout en mars 2020, ce qui est bien supérieur à tous mes autres articles des dix dernières années. La série de webinaires de Contact North | Contact Nord, offrant de la formation au corps professoral, a aussi fracassé des records de participation.
Le soutien offert par les centres d’appui à l’enseignement et à l’apprentissage se concentre dans trois domaines :
- la conception de cours en ligne;
- les méthodes d’enseignement autres que l’exposé traditionnel (avec un accent sur l’apprentissage en ligne actif);
- la formation à l’utilisation des principaux outils comme les systèmes de gestion de l’apprentissage et les technologies de visioconférence comme Zoom.
Plusieurs membres du personnel enseignant ont fait preuve de créativité pour solliciter la participation en ligne des étudiantes et étudiants (le point 4, ci-dessous, livre quelques exemples).
La principale leçon à retenir est que nous devons accroître le soutien au personnel enseignant pour toutes les formes d’enseignement : en présentiel, en ligne ou hybride. Il nous faut donc plus de personnel de soutien aux centres d’appui à l’enseignement et à l’apprentissage : non seulement des individus experts dans la mise sur pied des cours, mais aussi des spécialistes des médias visant particulièrement les interactions avec les étudiantes et étudiants.
On est toutefois confronté à un enjeu d’échelle. Auparavant, un centre d’appui à l’enseignement et à l’apprentissage parvenait à aider environ 10 % de tout le personnel enseignant en une année, souvent de façon individuelle. Si, comme je le pense, tous les cours à l’avenir seront donnés en mode hybride ou entièrement en ligne, il faudra élaborer d’autres stratégies pour aider le personnel enseignant en tout temps.
Pour offrir ce soutien, il faudra :
- créer des ressources sur l’enseignement en ligne – p. ex. la réalisation d’une bonne vidéo pédagogique;
- offrir des cours brefs sur la conception de cours hybrides ou en ligne, qui seront offerts en mode hybride ou en ligne;
- préparer et partager des ressources pédagogiques ouvertes pour le perfectionnement et la formation du corps enseignant afin de réaliser les économies d’échelle dans tout le système;
En plus de rendre le personnel enseignant plus habile à enseigner, les établissements où elles et ils enseignent seront aussi mieux outillés pour faire face à des chocs extérieurs comme une pandémie.
Il nous reste à apprendre quelles sont les conditions gagnantes de l’apprentissage asynchrone, et nous devons éviter de tirer des conclusions simplistes…
L’apprentissage en ligne en situation d’urgence a suscité bien des doutes et de nombreux experts ont tenté de « dissocier » l’apprentissage en ligne de qualité de l’apprentissage en ligne en situation d’urgence.
La principale objection est que le fait d’utiliser Zoom pour faire des exposés n’est pas la meilleure façon d’enseigner en ligne. Ces critiques se fondent sur plus de 20 années d’expérience à établir ce qui fonctionne bien – et ce qui ne fonctionne pas – avec l’apprentissage en ligne. Mais j’aimerais soulever deux points importants.
D’abord, plusieurs pratiques exemplaires ont vu le jour dans le cadre d’un apprentissage en ligne asynchrone (en différé), utilisant principalement un système de gestion de l’apprentissage (SGA). Les outils asynchrones comme le SGA permettent aux étudiantes et étudiants d’apprendre n’importe où et n’importe quand.
À l’origine, le SGA était une technologie de choix pour l’apprentissage en ligne, car son avantage principal tient au fait qu’il permettait un meilleur accès. L’apprentissage en ligne asynchrone était le seul moyen pour de nombreuses personnes occupant un emploi ou ayant une famille de poursuivre leurs études. Il leur était tout simplement impossible de se rendre sur un campus régulièrement, mais elles pouvaient structurer leur formation autour de leurs autres occupations.
Nous savons également que les étudiantes et étudiants apprennent généralement mieux en mode asynchrone, non seulement parce qu’ils ont ainsi plus de souplesse, mais aussi parce qu’ils peuvent consacrer plus de temps à une tâche. C’est donc à partir de l’apprentissage asynchrone que les pratiques exemplaires pour l’apprentissage en ligne ont été élaborées.
Deuxièmement, la diffusion vidéo en continu était impossible sur le plan technique jusqu’à tout récemment, à tout le moins à des coûts raisonnables. Puis, Zoom et d’autres technologies de vidéo en continu sont arrivées ces dernières années, si bien qu’au printemps 2020, de nombreux membres du personnel enseignant ont sauté sur l’occasion, car il leur était possible d’adopter ces technologies instantanément, en adaptant minimalement leur méthode d’enseignement habituelle.
Comme il fallait beaucoup moins de temps pour maîtriser un système très convivial comme Zoom plutôt que de nouvelles méthodes d’enseignement – ou qu’un système de gestion de l’apprentissage – cet outil allait devenir, à l’évidence, l’approche de choix d’une large part du personnel enseignant sans expérience antérieure en enseignement virtuel, alors que le passage au mode en ligne devait se faire en moins de deux semaines.
Ce qui a eu pour conséquences que plusieurs individus experts de l’apprentissage en ligne ont levé les bras au ciel en s’exclamant qu’il ne s’agissait pas là d’un apprentissage en ligne « adéquat », et qu’une bonne part de l’été 2020 a été consacrée à tenter de convaincre le personnel enseignant de cesser de faire des exposés en ligne sur vidéo pour la session d’automne 2020.
Les expertes et experts de l’apprentissage en ligne, moi compris, ont mis du temps à reconnaître que l’apprentissage en ligne en mode synchrone (en direct) comporte aussi certains avantages sur le plan pédagogique, surtout pour les étudiantes et étudiants à plein temps qui n’ont désormais plus accès au campus. En réalité, ce n’est pas une question de choix entre Zoom ou Moodle, par exemple, mais il s’agit plutôt d’établir les avantages ou la pertinence de chacun de ces outils, puis de s’en servir adéquatement. En fait, même avant la COVID-19, Zoom et des technologies similaires étaient de plus en plus utilisées pour l’apprentissage en ligne.
Il nous reste à apprendre quelles sont les conditions gagnantes de l’apprentissage asynchrone, et nous devons éviter de tirer des conclusions simplistes voulant que l’apprentissage synchrone ou asynchrone, en présentiel ou en ligne soit intrinsèquement meilleur ou pire. Nous devons préciser les conditions sous lesquelles chaque mode de prestation fonctionne le mieux et la présence de la COVID-19 nous en offre l’occasion.
Je m’attends à ce que la vidéo en continu pour des exposés de 60 minutes avec peu d’interaction avec les étudiantes et étudiants demeure un piètre moyen d’enseigner en ligne. Nous trouvons des moyens plus pertinents d’utiliser les technologies synchrones, comme les petits groupes de discussion, à l’aide des salles de répartition Zoom, suivis de comptes rendus à toute la classe, mais je m’attends aussi à ce que l’on définisse d’autres rôles pour l’apprentissage en ligne en mode synchrone.
… il y a fort longtemps que l’éducation postsecondaire aurait dû se pencher sur l’évaluation elle-même.
L’impossibilité de se présenter sur les campus pour les examens en raison de la COVID-19 nous a forcés à réexaminer nos méthodes d’évaluation. En fait, il y a fort longtemps que l’éducation postsecondaire aurait dû se pencher sur la question.
Le principal enjeu de départ, dans le contexte de la COVID-19, était la surveillance. Comment s’assurer que la personne qui passe l’examen est effectivement celle qui est inscrite au cours? Il existe diverses réponses technologiques à cette question, notamment l’utilisation de caméras et le contrôle par « empreintes digitales » et suivi des claviers. Ces outils ne tiennent toutefois pas compte de l’enjeu principal : utilisons-nous le concept d’évaluation le plus approprié pour les étudiantes et étudiants d’aujourd’hui? Nous devons nous demander si faire subir aux étudiantes et étudiants un test crayon-papier pouvant durer jusqu’à trois heures est un bon moyen d’évaluer les apprentissages au 21e siècle.
Les tests crayon-papier sont efficaces pour mesurer la compréhension de certains concepts à un moment en particulier, mais nous devons maintenant nous concentrer sur l’évaluation non pas d’une compétence précise, comme la pensée critique, mais sur le niveau de compétence et son développement au cours de la période correspondant au cours ou au programme. Cette approche est bien plus efficace pour déterminer le potentiel d’une étudiante ou d’un étudiant. Un ensemble d’examens à un moment précis permet d’évaluer uniquement l’étudiante ou l’étudiant au moment de l’examen. Nous savons tous qu’il est possible de se bourrer le crâne avant un examen, puis d’avoir presque tout oublié six mois plus tard. Mais si une compétence intellectuelle est bien enseignée, elle demeure en nous et continue de se développer bien après la fin officielle du cours ou du programme.
Nous pouvons apprendre beaucoup en évaluant les expériences passées de cette forme d’apprentissage. L’apprentissage en ligne se prête mieux à l’évaluation continue ou formative, et moins aux évaluations finales ou sommatives, parce que les cours en ligne bien conçus laissent un sillage durable et vérifiable de ce que les étudiantes et étudiants ont fait et appris (je pense ici aux cours asynchrones qui ont recours à un SGA). On peut en effet suivre les progrès des étudiantes et étudiants au jour le jour pendant leur parcours. Cette question a suscité un intérêt croissant lors de discussions sur les évaluations à l’approche du semestre d’automne 2020 et qu’il est devenu clair que l’apprentissage en ligne demeurerait la forme d’enseignement prépondérante dans les collèges et les universités.
On peut évaluer les interventions des étudiantes et étudiants lors des forums de discussion. On peut leur remettre un classeur électronique dans lequel ils pourront consigner leurs notes ou leurs comptes rendus de lectures, et suivre leurs contributions aux travaux demandés. Ces contributions peuvent être de nature privée (pour leur utilisation seule) ou être préparées à des fins d’évaluation, auquel cas le corps professoral pourra les corriger. On peut demander un travail de groupe aux étudiantes et étudiants, puis évaluer leurs contributions individuelles à l’aide d’un forum de discussion dans un système de gestion de l’apprentissage.
C’est là un moyen particulièrement utile de suivre et d’évaluer le développement de leurs habiletés intellectuelles, notamment les capacités de communication textuelle, la pensée critique ou l’apprentissage autonome. Même lors du retour en classe, les travaux des étudiantes et étudiants pourront continuer de se faire en ligne et le suivi pourra être assuré de la même façon. Cela vaut aussi pour le processus d’évaluation, et nous évite à corriger une foule de travaux en quelques jours seulement.
Pour toutes ces raisons, le réexamen des modes d’évaluation pourrait être l’une des conséquences les plus positives du passage à l’apprentissage en ligne par suite de la COVID-19.
… nous devons adopter une approche globale, récompenser l’innovation dans l’enseignement, l’intégrer à la planification des programmes, l’évaluer et lui offrir les ressources appropriées.
Le personnel enseignant a relevé le défi de l’enseignement en ligne de plusieurs façons. Certaines enseignantes et enseignants ont transposé leurs exposés magistraux en vidéo en direct, ce qui n’est ni novateur ni véritablement efficace. D’autres ont suivi les conseils de concepteurs de programmes d’études et ont tenté d’intégrer les pratiques exemplaires d’applications déjà existantes, mentionnées précédemment. Cette approche est peut-être plus efficace, mais n’est pas très innovante par définition.
Un plus petit nombre a essayé quelque chose de complètement différent. Un enseignant a par exemple créé un salon étudiant virtuel à l’aide du populaire jeu vidéo Minecraft, avec des avatars permettant à chaque étudiante et étudiant de profiter d’un lieu pour se connecter. Un autre a mis sur pied une salle de nouvelles fictive, où les étudiantes et étudiants deviennent rédacteurs en chef et traitent de divers sujets éditoriaux.
Mais dans quelle mesure ces innovations vont-elles s’étendre au-delà de l’enseignante ou enseignant qui les a conçues, et entraîner des changements de méthode d’enseignement pour une discipline, par exemple? Si cette façon d’enseigner est novatrice, est-elle efficace? Quels résultats d’apprentissage entraîne-t-elle? Est-elle semblable ou différente des méthodes traditionnelles et si elle est différente, est-elle meilleure? En d’autres mots, l’enseignement novateur doit être évalué avec soin.
Si vous voulons que l’innovation fonctionne – qu’elle permette un meilleur apprentissage ou une meilleure acquisition de connaissances et soit utilisée par plus d’un ou deux enseignants enthousiastes – nous devons nous pencher sur ce qui stimule ou assure le maintien de l’innovation dans les établissements. Nous devons plus particulièrement nous pencher sur les stratégies auxquelles les administrateurs peuvent avoir recours pour que cette innovation se généralise, et surtout, qu’elle porte des fruits.
Mais surtout, il nous faut réfléchir très concrètement à ce que l’enseignement devrait ou pourrait ressembler dans l’avenir. Sa portée doit dépasser notre emprise, et doit reposer sur notre évaluation des besoins des étudiantes et étudiants du 21e siècle, et non pas sur les exigences institutionnelles existantes auxquelles elle doit s’ajuster. Et le meilleur endroit pour concrétiser une telle vision est à l’échelle du programme lui-même.
Du côté de la haute direction, il est essentiel d’adopter une vision globale de l’enseignement, de l’innovation et de la culture de l’établissement. Si on ignore où l’enseignement novateur pourra s’intégrer dans la vision d’ensemble, il sera difficile, voire impossible, d’appuyer et d’étendre l’adoption de l’enseignement novateur au-delà d’un seul membre du personnel enseignant.
Cela veut donc dire que nous devons réfléchir à ce que nous visons avec l’enseignement et l’apprentissage. Voulons-nous, par exemple, plus de souplesse pour les étudiantes et étudiants dans la façon dont les cours sont donnés? Essayons-nous de joindre un bassin plus diversifié ou des étudiantes et étudiants défavorisés? Voulons-nous que nos étudiantes et étudiants acquièrent des habiletés intellectuelles de haut niveau?
Sans un tel cadre ou un tel ensemble de critères, il est difficile de décider s’il est opportun d’appuyer ou d’adopter une innovation.
D’un autre côté, l’enseignement novateur peut aider à définir de nouveaux objectifs. Un enseignant en sciences qui faisait des expériences en réalité virtuelle a par exemple découvert que ses étudiantes et étudiants en recherche avaient acquis une meilleure pensée intuitive, ce qui leur permettait d’élaborer de meilleures hypothèses.
L’innovation peut toutefois nous mener à réexaminer nos objectifs académiques, ce qui risque d’être difficile si l’établissement, le département ou le programme ne disposent pas de stratégies ou d’objectifs clairs pour l’enseignement ou l’apprentissage.
Nous avons besoin d’innover dans la façon dont nous enseignons la matière, soutenons les apprenantes et les apprenants, préparons le personnel enseignant et surtout, utilisons la technologie pour enseigner. Tout comme il est important et utile pour un enseignant d’essayer de nouvelles choses en classe, nous devons nous montrer plus ambitieux et considérer l’innovation dans l’optique des programmes et de l’établissement. Les grappes d’innovation ont certainement du bon, mais des questions essentielles au niveau des programmes doivent aussi trouver réponse, notamment :
- Les résultats du cours permettent-ils de répondre aux attentes en matière de compétences d’un organisme de réglementation professionnel?
- Les méthodes d’enseignement renforcent-elles les pratiques exemplaires propres au champ d’études dans tous les cours?
- Le mode de prestation reflète-t-il les pratiques exemplaires en matière d’éthique et de conduite professionnelles?
- Les résultats d’apprentissage jettent-ils des bases adéquates pour l’expérience d’apprentissage qui suivra, afin que les étudiantes et étudiants ne fassent pas que réussir… mais excellent?
- Les étudiantes et étudiants augmentent-ils leur niveau de compétences intellectuelles durant leur programme, notamment en pensée critique et en résolution de problèmes? Le programme leur offre-t-il les bases d’un développement continu de telles compétences après l’obtention de leur diplôme?
Si nos collèges et nos universités veulent demeurer pertinents au 21e siècle, ils doivent changer. Pour y parvenir, nous devons adopter une approche plus globale, récompenser l’innovation dans l’enseignement, l’intégrer à la planification des programmes, l’évaluer et lui offrir les ressources appropriées. Bien que nos établissements d’enseignement s’inspirent de bonnes intentions et qu’ils appuient peut-être le concept d’innovation sur le plan stratégique, nous devons nous montrer beaucoup plus professionnels et intransigeants quand il est question d’intégrer l’innovation aux travaux liés à l’enseignement et à l’apprentissage.
… un effort national à plus vaste échelle sera nécessaire pour créer du contenu numérique de haute qualité qui pourra être partagé dans les cours les plus largement offerts…
Le monde entier semblait se dépêcher d’offrir la diffusion en vidéo de l’enseignement offert en classe : des exposés, principalement. La technologie a permis au personnel enseignant de faire le saut presque immédiatement vers l’apprentissage en ligne, mais au printemps 2020, personne n’avait le temps de se pencher sur les autres possibilités qu’offrent les médias.
La question n’est pas tant celle de l’utilisation des technologies synchrones, mais plutôt celle des enjeux liés aux grands groupes pour les exposés. Et cet enjeu n’est pas nouveau.
En 1975, Donald Bligh publiait What’s the Use of Lectures? (Quelle est l’utilité des exposés?), un ouvrage répertoriant des données probantes détaillées sur ce qu’est un exposé raté ou réussi. Quelques conclusions dignes de mention :
- L’enseignement et la compréhension de la matière sont plus importants que le développement de compétences de plus haut niveau comme l’analyse et la pensée critique;
- Les étudiantes et étudiants apprennent moins lorsqu’ils n’ont aucune interaction avec le personnel enseignant, avec leurs camarades ou avec des documents d’apprentissage; en fait, la recherche démontre que leur concentration s’envole après 10 à 15 minutes devant un exposé traditionnel.
J’ai un autre problème avec le recours à la vidéo synchrone pour la retransmission d’exposés : cette façon de faire n’exploite pas efficacement les caractéristiques pédagogiques particulières de la vidéo.
L’utilisation de Zoom ou d’un autre service de diffusion vidéo du genre sert généralement de solution de rechange à l’enseignement en présentiel. Selon Ruben Puentedura, un consultant du Massachusetts qui étudie les applications transformatrices des technologies de l’information à des fins pédagogiques, ces médias sont plus efficaces pour « transformer » l’enseignement, ce qu’il est impossible de faire en classe.
Une somme considérable d’études démontre que l’audio, la vidéo et les ordinateurs peuvent faire beaucoup de choses encore mieux que ce qui peut se faire dans une classe ou même dans un laboratoire réel ou expérimental. Plusieurs possibilités s’offrent dans ce cas :
- La vidéo peut être utilisée pour montrer des expériences trop dangereuses ou trop difficiles à réaliser par les étudiantes et étudiants, même dans un vrai laboratoire.
- L’audio, conjugué au texte, peut être utilisé pour expliquer des formules difficiles, des arguments ou des données probantes aux étudiantes et étudiants (le site Web Khan Academy est un bon exemple).
- Les jeux vidéo ou informatiques peuvent être utilisés pour aider les étudiantes et étudiants à s’exercer à la prise de décision dans un environnement sécuritaire.
- Des simulations par ordinateur offrent la possibilité aux étudiantes et étudiants de mieux comprendre intuitivement des relations complexes.
Les médias numériques ont aussi l’avantage d’être asynchrones et disponibles partout et en tout temps, ce qui permet aux étudiantes et étudiants de s’exercer et de consacrer plus de temps à une tâche.
Le coût et les efforts nécessaires pour créer du matériel d’apprentissage expliquent en partie pourquoi les médias ont été sous-utilisés pour l’enseignement. Les choses sont toutefois en train de changer. Le personnel enseignant utilise de plus en plus le téléphone intelligent pour enregistrer des expériences ou montrer des ressources rares comme des organes d’animaux en sciences vétérinaires, ou encore pour enregistrer des événements de tous les jours en vue d’illustrer certains concepts. Certains membres de personnel enseignant utilisent ou adaptent même des applications mobiles courantes pour permettre aux étudiantes et étudiants de faire des travaux sur le terrain sans supervision directe.
C’est là que les ressources pédagogiques ouvertes prennent toute leur importance. Durant la COVID-19, le personnel enseignant a de plus en plus trouvé sur Internet du matériel gratuit autorisé à des fins pédagogiques et qui pouvait être intégré sans frais à leur enseignement, par exemple des illustrations d’une courbe en cloche.
Malheureusement, un grand nombre de ressources pédagogiques ouvertes n’ont pas une valeur professionnelle de très haut niveau. Souvent, elles sont produites par un seul enseignant qui travaille seul, alors que les étudiantes et étudiants sont maintenant habitués à des normes de qualité plus élevées lorsqu’ils utilisent les médias numériques. De même, ces ressources sont souvent difficilement adaptables pour répondre aux besoins particuliers de collègues.
Nous avons besoin d’un ensemble de ressources pédagogiques ouvertes de haute qualité, traitant de sujets courants et pouvant être adaptées à des disciplines ou à des contextes variés en permettant d’en changer les attributs. Les collèges et les écoles polytechniques du Canada travaillent ensemble à la conception et au partage d’applications en réalité virtuelle et augmentée, mais un effort national à plus grande échelle sera nécessaire pour créer du contenu numérique ouvert de haute qualité, qui pourra être partagé dans les cours les plus largement offerts dans les collèges et universités au pays. La COVID-19 rend encore plus pressante la concrétisation de telles idées.
Chaque établissement a besoin d’une stratégie de soutien pour les étudiantes et étudiants qui peinent à accéder à la technologie en ligne.
La plupart des personnes œuvrant en apprentissage en ligne perçoivent ce mode d’enseignement comme un moyen d’élargir l’accès, surtout pour l’apprentissage permanent de personnes qui n’ont pas les moyens ou sont incapables d’assister à des cours sur le campus à plein temps. L’apprentissage en ligne a ouvert la voie au développement de nouvelles ressources pédagogiques telles que les manuels gratuits offerts en ligne.
Lorsque des cours sont aussi offerts sur le campus, les étudiantes et étudiants ont le choix. Mais la pandémie a permis de constater que jusqu’à 25 % des gens au Canada – et sans doute un pourcentage bien plus élevé dans plusieurs autres pays – n’ont tout simplement pas accès à l’apprentissage en ligne ou n’en ont pas les moyens. Soit ils n’ont pas suffisamment de bande passante, ou n’ont pas l’argent pour payer les frais de transmission de données supplémentaires ou l’équipement requis pour poursuivre leurs études. Il se peut aussi qu’ils vivent dans un logement où il y a déjà beaucoup de monde, ce qui rend difficile, voire impossible, d’étudier adéquatement.
Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications (CRTC) signale que 85 % de tous les ménages canadiens vivent dans des régions où des vitesses de téléchargement de 10 Mbps sont aisément accessibles.
Il s’agit de la vitesse minimale nécessaire pour une transmission vidéo en direct efficace à l’aide d’outils comme Zoom. Toutefois, chaque utilisateur individuel doit pouvoir compter sur 10 Mbps sur son propre appareil. Lorsque plusieurs membres de la famille travaillent ou étudient de la maison, le coût de l’infrastructure informatique et des données est assurément un élément dont il faut tenir compte.
Si l’on considère que 15 % des foyers ne peuvent compter sur une vitesse de téléchargement adéquate et qu’un autre 5 % dispose bel et bien des 10 Mbps nécessaires, mais pas sur un seul appareil, et qu’un autre 5 % n’a pas les moyens d’acheter un appareil convenable ou de payer les frais liés à Internet, on peut affirmer que le quart de la population ne peut étudier en ligne. Il s’agit là du groupe le plus défavorisé et le plus pauvre de notre société. Le problème est plus criant en éducation de la maternelle à la 12e année, où l’accès est censé être universel, mais le même problème touche aussi plusieurs étudiantes et étudiants de niveau postsecondaire.
L’accès est un problème non seulement pour les personnes sans équipement ou accès à Internet, mais aussi pour les personnes ayant un handicap, comme les malvoyants ou les malentendants. Heureusement, ils peuvent compter sur universal design for learning, un cadre pour améliorer et optimiser l’enseignement pour tous, grâce aux plus récents progrès scientifiques sur les modes d’apprentissage humains. L’utilisation de ce cadre permet la redondance par les médias utilisés dans un cours, si bien que les personnes ayant une perte de vision puissent avoir accès à des documents sonores au besoin, par exemple. L’apprentissage en ligne peut donc réellement être plus accessible que les cours sur un campus pour les personnes ayant certains handicaps, mais cette possibilité doit être intégrée au concept même des cours.
Comment a-t-on résolu la question de l’accès à la technologie?
- Quelques collèges, universités et conseils scolaires repèrent les étudiantes et étudiants plus à risque et veillent à leur offrir l’aide dont ils ont besoin, que ce soit sous forme de bourse d’études ou de prêt d’équipement. Dans le réseau scolaire de la maternelle à la 12e année en Colombie-Britannique, par exemple, ces étudiantes et étudiants ont eu la priorité pour revenir à l’enseignement en présentiel dès qu’il fut jugé sécuritaire de le faire.
- Dans les établissements d’enseignement comptant un grand nombre d’étudiantes et étudiants en région éloignée ou provenant de quartiers défavorisés, des approches asynchrones ont été privilégiées, à l’aide par exemple de systèmes de gestion d’apprentissage et de courriels au lieu de cours en direct avec Zoom, parce que les outils asynchrones exigent moins de bande passante.
- Les installations publiques comme les centres communautaires ou les bibliothèques, dotées de bonnes connexions à Internet, offrent aux étudiantes et étudiants l’accès à leurs équipements selon un horaire établi, avec mesures de distanciation physique. Ces centres « d’apprentissage », qui peuvent être situés dans une communauté autochtone, dans un café de quartier ou à l’épicerie du coin, sont particulièrement utiles dans les régions éloignées, notamment dans les régions desservies par Contact North | Contact Nord en Ontario.
- Le gouvernement canadien s’est engagé à investir 1,7 milliard de dollars pour assurer l’accès à Internet haute vitesse en régions éloignées. Le branchement devait être déployé sur dix ans, mais la COVID-19 a accéléré la mise en œuvre ce programme.
Chaque établissement d’enseignement a besoin d’une stratégie de soutien pour les étudiantes et étudiants qui peinent à accéder à la technologie en ligne. D’un autre côté, les 75 % ou plus d’autres étudiantes et étudiants ayant aisément accès à l’apprentissage en ligne ne devraient pas être privés de la possibilité de poursuivre leurs études en raison du confinement. Nous devons simplement tenir compte du fait qu’il nous faut trouver des moyens de servir les étudiantes et étudiants – une minorité, espérons-le – qui ont de réelles difficultés à poursuivre leurs études en ligne.
Plus d’espace et moins d’étudiantes et étudiants par classe est non seulement plus sain : cela favorise un meilleur apprentissage.
Les recherches sur les réactions des étudiantes et étudiants à l’apprentissage en ligne en situation d’urgence a révélé que plusieurs d’entre eux ne disposaient pas d’un espace adéquat à la maison, devaient souvent partager l’espace consacré à leurs études, leurs appareils et la bande passant disponible avec d’autres membres de leur famille qui devaient étudier ou travailler de la maison.
Plus les étudiantes et étudiants découvriront l’apprentissage hybride, plus ils auront besoin d’espaces tranquilles avec accès à Internet sur le campus pour étudier en privé (idéalement avec des rafraîchissements à proximité). Plusieurs établissements d’enseignement comptent déjà des aires communes vouées à l’apprentissage, souvent reliées à la bibliothèque, mais les étudiantes et étudiants ont aussi besoin de plusieurs espaces d’apprentissage plus petits, situés près des salles où les cours sont donnés et où ils peuvent brancher leur ordinateur ou leur tablette afin de travailler à une table ou sur un banc.
Certains établissements d’enseignement aménagent déjà des salles de cours actives ou interactives. Les étudiantes et étudiants d’un établissement prennent place en groupe de six ou sept à une table ronde avec présentations PowerPoint, connexions à Internet et câble qui les relie à un écran mural attribué à leur table. Le travail de groupe peut être affiché sur les écrans, ou ces écrans peuvent être utilisés pour enseigner à toute la classe. À l’extérieur ou à l’arrière de la salle, il peut y avoir des isoloirs où chacun peut se rendre pour se séparer du groupe, continuer de travailler ou faire des recherches sur Internet. Cet établissement a constaté que ce type d’aménagement encourage le personnel enseignant à enseigner différemment. Les étudiantes et étudiants sont plus actifs et acquièrent un large éventail de compétences importantes comme la collaboration, l’apprentissage autonome et la littératie numérique.
La COVID-19 a permis de tirer un enseignement important concernant les classes surpeuplées. Plus d’espace et moins d’étudiantes et étudiants par classe est non seulement plus sain : cela favorise un meilleur apprentissage. Si, par exemple, le tiers des étudiantes et étudiants suivent principalement leurs cours en ligne une journée donnée, cela permet de réduire la taille du groupe et de rendre plus interactif le cours dispensé sur le campus.
Les administrateurs de la plupart des établissements méritent des félicitations pour leur résilience et leur capacité d’adaptation.
Les cadres en administration de la plupart des établissements d’enseignement méritent des félicitations pour leur résilience et leur capacité d’adaptation. Les recherches révèlent que les établissements qui ont pris des décisions tôt lors de la session du printemps 2020 (aux environs de mai) ont mieux réussi lors du lancement de leur semestre d’automne, même s’ils ont dû faire preuve de souplesse parce que la situation avait changé au cours de l’été. En outre, les établissements qui offraient déjà ou projetaient d’offrir l’apprentissage hybride ou en ligne avant la COVID-19 ont eu plus de succès, sur le plan de la satisfaction des étudiantes et étudiants, après avoir instauré l’apprentissage en ligne en situation d’urgence.
En 2018, environ les deux tiers des établissements d’enseignement postsecondaire au Canada étaient dotés d’un plan ou d’une stratégie pour l’apprentissage numérique ou étaient en train de les préparer. La COVID-19 devrait accélérer la mise en place de ces plans et leur déploiement, et devrait aussi faire en sorte que les établissements qui n’ont pas de plan songent à s’en doter. Pour être résilient, vous devez être préparé. Cela veut dire mettre en place des plans qui peuvent être rapidement mis en œuvre ou modifiés selon le contexte.
La COVID-19 devrait obliger tous les départements universitaires et les établissements d’enseignement à élaborer une vision claire de la direction qu’ils souhaitent donner à leur enseignement afin que quoi qu’il arrive, ils puissent offrir un enseignement de qualité. Cette vision aura des conséquences sur les façons d’enseigner la matière, le développement des compétences, la littératie numérique, la qualité de l’enseignement, le soutien aux étudiantes et étudiants et au personnel enseignant et le rôle de la technologie dans l’enseignement et l’apprentissage.
Des ressources seront nécessaires et il sera difficile de les obtenir, puisque les provinces doivent composer avec l’impact économique de la COVID-19. Néanmoins, plusieurs établissements d’enseignement ont déjà donné plus de poids à leur centre d’appui à l’enseignement et à l’apprentissage en y embauchant plus de personnel. Les concepteurs de programmes, en particulier, sont en forte demande. Des efforts doivent être déployés pour l’établissement de cours de plus petite taille dans un avenir immédiat. Cela veut dire qu’on devra non seulement embaucher plus de personnel enseignant, mais qu’on devra aussi le répartir différemment afin d’éviter les classes nombreuses avec cours magistraux de la première année.
Mais surtout, les plans préparés doivent être souples. Le monde qui nous entoure, et la technologie en particulier, change trop rapidement pour qu’on puisse compter sur un plan quinquennal rigide. La planification et les stratégies pour l’enseignement et l’apprentissage doivent constituer une activité permanente et évolutive, qui sera mieux réalisée à l’échelle des départements et devra être encouragée par l’administration centrale.
Les études de recherche ont été, par nécessité, vite faites et grossières, souvent réalisées à partir d’un échantillon modeste et non représentatif d’étudiantes et étudiants, de personnel enseignant, de cadres en administration et d’établissements.
Plus de 100 000 membres du personnel enseignant ont rapidement déplacé leurs cours vers l’apprentissage en ligne, en deux semaines ou moins.
Même si j’ai dressé une liste de plusieurs études sur l’impact de l’apprentissage en ligne en situation d’urgence, il semble que ces études ont été, par nécessité, vite faites et grossières, souvent réalisées à partir d’un échantillon modeste et non représentatif d’étudiantes et étudiants, de personnel enseignant, de cadres en administration et d’établissements d’enseignement.
Nous ne disposons pas d’un survol systématique, appuyé par des données probantes, de l’état actuel de l’enseignement et de l’apprentissage des suites de la pandémie.
Heureusement, l’Association canadienne de recherche sur la formation en ligne (ACRFL) a recueilli des données sur l’apprentissage en ligne auprès de tous les établissements d’enseignement canadiens en 2017, 2018 et 2019. Nous savons donc qu’avant la pandémie, entre 8 et 10 % de toutes les inscriptions visaient des cours offerts uniquement en ligne et que ces inscriptions ont augmenté au rythme annuel de 10 % ces dernières années. S’il n’y avait pas eu de pandémie, nous aurions pu anticiper qu’une proportion d’environ 12 % de toutes les inscriptions viserait des cours entièrement offerts en ligne en avril 2021. Si l’ACRFL est en mesure de refaire ce sondage en 2021, nous pourrons alors savoir quel aura été l’impact sur l’apprentissage en ligne exclusivement, à tout le moins sur les inscriptions.
La collecte de données comporte toutefois certaines difficultés. La première est que même si l’ACRFL a répertorié les trois quarts environ de tous les établissements d’enseignement canadiens offrant de l’apprentissage hybride en 2019, le nombre réel d’inscriptions et les formes d’apprentissage hybride adoptées dans les faits n’ont pas fait l’objet d’un recensement par établissement.
Le recensement des formes d’apprentissage mixte ou hybride pose un défi particulier. Il existe en effet de nombreuses formes d’apprentissage hybride, qui vont simplement de travaux supplémentaires à faire en ligne pour les cours magistraux, jusqu’à une réduction volontaire du temps passé en classe pour favoriser des activités d’apprentissage en ligne plus nombreuses et plus approfondies. Certains établissements d’enseignement offrent des cours HyFlex, dans le cadre desquels chaque étudiante ou étudiant décide du temps qu’elle ou il passera en présentiel et en ligne, selon ses propres disponibilités. Certains membres du personnel enseignant conçoivent leurs cours avec soin autour des avantages respectifs de l’apprentissage en présentiel ou en ligne, alors que d’autres se contentent de reprendre en ligne ce qu’ils font dans leur classe.
La décision de mettre en place l’apprentissage hybride et le choix des moyens pour ce faire revient habituellement à l’enseignante ou à l’enseignant, ce qui veut dire que la plupart des établissements d’enseignement n’ont aucun moyen d’assurer le suivi de l’apprentissage hybride. Il faudrait pour cela réaliser des sondages individuels auprès des membres du personnel enseignant.
La deuxième difficulté tient au fait qu’à peine la moitié des établissements d’enseignement sondés par l’ACRFL en 2019 a fourni des données fiables et cohérentes sur l’apprentissage offert exclusivement en ligne, même si de tels cours sont souvent indiqués dans leur système d’inscription. Les établissements d’enseignement doivent prévoir des moyens plus uniformes de répertorier et d’assurer le suivi du type de cours offerts et devraient pour ce faire s’entendre sur les mêmes définitions. L’ACRFL travaille avec les établissements d’enseignement canadiens pour que les données recueillies soient plus cohérentes et plus fiables. Le sondage de 2021 devrait donc contenir des données fiables pour un plus grand nombre d’établissements d’enseignement.
Le troisième enjeu lié à la collecte de données est la difficulté à élargir la portée de la recherche afin qu’elle passe de données quantitatives sur le nombre d’inscriptions, les plans et la technologie utilisée à une somme de données plus qualitatives concernant la réaction du personnel enseignant et des étudiantes et étudiants à l’apprentissage en ligne en situation d’urgence, à l’apprentissage hybride et à l’apprentissage offert en ligne exclusivement. Idéalement, une telle étude devrait aussi être liée aux résultats d’apprentissage.
Il est évident que plus de recherches et surtout, plus de données sont nécessaires, et ce, de façon urgente, afin d’outiller les établissements d’enseignement et le personnel enseignant à prendre des décisions fondées sur des éléments probants quant à l’avenir de l’apprentissage hybride et en ligne. Une base de financement émanant des provinces canadiennes est aussi nécessaire. Les conseils nationaux de recherche, particulièrement le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, pourraient aussi avoir un rôle important à jouer dans l’étude de ce qui devient rapidement une source importante de force pour l’enseignement postsecondaire au Canada.
La réponse à la pandémie du personnel enseignant dans le secteur de l’éducation postsecondaire a de quoi impressionner. Plus de 100 000 membres du personnel enseignant ont rapidement déplacé leurs cours vers l’apprentissage en ligne, en deux semaines ou moins.
Pour la plupart d’entre eux, ce virage a donné lieu à l’apprentissage de nouvelles compétences et d’une méthode d’enseignement relativement différente. Il n’y a eu ni débrayages ni grève, et même si le personnel enseignant n’était certainement pas enchanté par la situation, c’est presque sans exception que tous ont mis volontairement l’épaule à la roue pour continuer afin que les étudiantes et étudiants puissent terminer leur session du printemps 2020.
Ces bouleversements ont été suivis d’un été intense, au cours duquel plusieurs membres du personnel enseignant ont reçu de la formation pour améliorer l’expérience d’apprentissage en ligne en vue du semestre d’automne. Les enseignantes et enseignants ont été énergiquement soutenus par leur centre d’appui à l’enseignement et à l’apprentissage, qui a organisé des ateliers et des consultations individuelles, et préparé des ressources sur l’apprentissage en ligne, offertes sur demande et qui ont été immédiatement accessibles au personnel enseignant. Plus de formation sera offerte au cours du semestre d’automne 2020, pendant lequel les cours sont entièrement donnés en ligne ou allient une portion en ligne et une participation en présentiel, assortie de mesures très strictes, sur le campus.
L’apprentissage hybride, en particulier, est maintenant la formule de l’avenir. Malgré les difficultés importantes découlant de la pandémie, l’impact sur l’éducation postsecondaire sera peut-être bénéfique à long terme.
Il s’agit vraisemblablement de l’effort de perfectionnement le plus intense et le plus vaste pour le corps professoral de toute l’histoire de l’éducation postsecondaire au Canada. Vraisemblablement, personne n’aura appris autant que notre personnel enseignant au cours de la COVID-19. Nous avons également appris que l’enseignement et l’apprentissage ne risquent pas de redevenir « comme avant » la pandémie, comme on a pu le voir à la leçon 1.
Je vois toutefois poindre une résurgence de l’apprentissage hybride, par lequel l’apprentissage en ligne sera volontairement intégré à l’enseignement en présentiel. Les étudiantes et étudiants faisaient déjà de la recherche de contenu en ligne avant la pandémie. L’augmentation des ressources pédagogiques ouvertes s’inscrit dans cette tendance. Il est beaucoup mieux pour le personnel enseignant de guider et d’aider les étudiantes et étudiants à trouver de la documentation en ligne pour leurs études, par le biais de projets ou de travaux sur un thème particulier.
Cela veut donc dire que nous allons vraisemblablement assister à l’émergence d’un large éventail de modèles d’apprentissage, par exemple :
- un soutien ponctuel à l’enseignement traditionnel en classe;
- des cours dont la durée en classe sera réduite, et non pas éliminée, avec du temps réservé à l’apprentissage en ligne;
- l’apprentissage hybride, pour lequel la pertinence de l’enseignement en ligne ou en présentiel sera volontairement mise à contribution;
- les cours HyFlex, avec lesquels les étudiantes et étudiants peuvent choisir n’importe quelle combinaison entre des cours offerts entièrement en ligne ou entièrement sur le campus.
À long terme, la réalisation d’un modèle qui intégrera l’apprentissage en présentiel et en ligne ne pourra qu’être salutaire pour nos étudiantes et étudiants.
Nous pourrons compter pour cela sur un personnel enseignant mieux formé et mieux outillé pour s’adapter, qui aura recours à des méthodes d’enseignement modernes, aptes à mieux préparer nos étudiantes et étudiants à une ère toujours plus numérique.