En Ontario, chaque étudiante et étudiant de niveau postsecondaire doit maîtriser les outils numériques. Mais qu’entendons-nous par cela? S’agit-il simplement de la capacité à utiliser des outils numériques de base tels que les logiciels de traitement de texte, les moteurs de recherche et les navigateurs Web? Ou cela englobe-t-il un éventail plus large de compétences nécessaires pour réussir dans un monde numérique? Et quelle est la différence entre la littératie numérique et la maîtrise du numérique?
Malgré des années de discussions et de recherches, il n’existe toujours pas d’accord clair sur la signification exacte de ces termes. Au fur et à mesure que la technologie progresse, la définition de la maîtrise du numérique continue d’évoluer.
Réfléchissons à la signification de la maîtrise du numérique et à son lien avec la littératie et la compétence numériques. À la fin de cet aperçu, nous vous proposons un modèle pour guider l’évaluation de la maîtrise du numérique par les étudiantes et étudiants de l’enseignement postsecondaire de l’Ontario.
L’évolution et les diverses significations de la maîtrise du numérique
L’expression « maîtrise du numérique » est née plus récemment du concept de littératie numérique.
Avec l’évolution de la technologie dans les années 1990, les éducatrices et éducateurs ont commencé à utiliser des termes tels que littératie informatique, littératie de l’information et littératie médiatique, reconnaissant que la littératie exige non seulement la maîtrise de la langue, mais aussi la maîtrise de la technologie. Dans son ouvrage de référence, Digital Literacy, Paul Gilster a inventé le terme de « littératie numérique » comme étant « la capacité à comprendre et à utiliser des informations dans des formats multiples provenant d’un large éventail de sources lorsqu’elles sont présentées par le biais d’ordinateurs » (Gilster 1997, p. 1). La publication de Gilster a donc conduit à l’adoption généralisée du terme « littératie numérique ».
À partir du début des années 2000, la définition de la littératie numérique a commencé à se transformer, passant d’un accent purement informatif et opérationnel sur l’utilisation de la technologie à un accent accru sur des perspectives cognitives, critiques et responsables axées sur les connaissances (Spante et al., 2018).
Par exemple, dans le contexte de l’enseignement supérieur, Sharpe et Beetham (2010) ont défini la littératie numérique comme « l’accès fonctionnel, les compétences et les pratiques nécessaires pour devenir une personne adepte, confiante et agile avec une gamme de technologies à des fins personnelles, scolaires et professionnelles ». Elles ont élaboré un modèle pyramidal décrivant l’acquisition des compétences numériques, des plus élémentaires aux plus complexes; ce modèle a joué un rôle important à l’époque.
Peu après, Eshet (2012) a soutenu que la littératie numérique exigeait plus que la capacité de faire fonctionner un appareil numérique; elle exigeait la maîtrise d’une variété de compétences cognitives, motrices, sociologiques et émotionnelles complexes. De même, Chan et al. (2017) la considèrent comme « la capacité de comprendre et d’utiliser l’information dans des formats multiples en mettant l’accent sur la pensée critique plutôt que sur les compétences en matière de technologies de l’information et de la communication ». Cette vision de la littératie numérique comme un concept multiforme composé d’une variété de facteurs cognitifs, sociaux et attitudinaux prévaut désormais dans la littérature.
Malgré l’interprétation contemporaine plus large de la littératie numérique, des éducatrices et éducateurs estiment que le terme est restreint; il ne traduit pas suffisamment la nécessité pour les étudiantes et étudiants d’acquérir des connaissances et des compétences allant au-delà de l’utilisation de la technologie (Pelzel, 2019). Selon eux, les étudiantes et étudiants doivent également être en mesure de créer de nouvelles connaissances à l’aide d’outils numériques. Sur cette base, ils ont commencé à utiliser le terme de maîtrise du numérique. Parallèlement, d’autres personnes plus préoccupées par les compétences professionnelles ont commencé à utiliser le terme de compétence numérique. Ce terme met l’accent sur la capacité à appliquer les compétences numériques pour mener à bien un projet.
Si l’on adopte une vision large de la littératie numérique, comme celle de Chan et al. (2017), la littératie numérique englobe les termes de maîtrise et de compétence. En revanche, si la littératie est définie plus étroitement comme le simple fait de savoir utiliser des outils numériques, la littératie numérique serait perçue comme une condition préalable à la maîtrise et à la compétence.
Utilisons le terme de « maîtrise du numérique » afin de garantir une perspective large. En même temps, nous reconnaissons que l’un des trois termes — littératie, maîtrise et compétence — peut occuper une place prioritaire dans certains domaines.
Définitions contemporaines de la littératie numérique, de la compétence et de la maîtrise
Les définitions contemporaines de la littératie numérique, de la compétence et de la maîtrise du numérique sont nombreuses et tendent à refléter la mission d’une organisation. Par exemple, l’UNESCO se concentre sur l’alphabétisation des adultes et l’apprentissage tout au long de la vie et fournit la définition suivante :
La littératie numérique est la capacité d’accéder à l’information, de la gérer, de la comprendre, de l’intégrer, de la communiquer, de l’évaluer et de la créer en toute sécurité et de manière appropriée grâce aux technologies numériques pour le travail, les emplois convenables et l’entrepreneuriat. Elle comprend des compétences qui sont diversement désignées comme les connaissances en informatique, les compétences en TIC, la maîtrise de l’information et la littératie médiatique. (UNESCO, 2018 — texte en anglais)
EDUCAUSE, l’organisation technologique de l’enseignement supérieur, définit le concept de manière plus large comme englobant :
Un éventail de compétences et de connaissances nécessaires pour évaluer, utiliser et créer des informations numériques sous diverses formes. Les compétences numériques comprennent la maîtrise des données, la maîtrise de l’information, la maîtrise visuelle, la maîtrise des médias et la métacompétence, ainsi que les capacités connexes d’évaluation des questions sociales et éthiques dans notre monde numérique. (EDUCAUSE, 2019 — texte en anglais)
Le Conseil de l’Union européenne met l’accent sur la sécurité et la pensée critique, et utilise le terme de compétence numérique pour signifier :
L’utilisation confiante, critique et responsable des technologies numériques pour l’apprentissage, le travail et la participation à la société. Elle comprend la maîtrise de l’information et des données, la communication et la collaboration, la maîtrise des médias, la création de contenu numérique (y compris la programmation), la sécurité (y compris le bien-être numérique et les compétences liées à la cybersécurité), les questions liées à la propriété intellectuelle, la résolution de problèmes et l’esprit critique. (Conseil de l’Union européenne, 2018 — texte en anglais)
Jisc, l’agence britannique à but non lucratif spécialisée dans les technologies numériques et axée sur la recherche et l’innovation dans l’enseignement supérieur, utilise le terme moins courant de « capacité numérique » :
La capacité numérique est le terme que nous utilisons pour décrire les compétences et les attitudes dont les individus et les organisations ont besoin pour prospérer dans le monde d’aujourd’hui. Du point de vue de l’individu, les capacités numériques sont celles qui permettent à quelqu’un de vivre, d’apprendre et de travailler dans une société numérique. (Jisc, 2022 – texte en anglais)
La maîtrise du numérique n’est pas utilisée aussi souvent que la littératie et la compétence numériques. Dans le cadre d’une initiative à l’échelle du campus, la Pennsylvania State University définit la maîtrise du numérique comme suit :
La capacité à tirer parti de la technologie pour créer de nouvelles connaissances, de nouveaux défis et de nouveaux problèmes et à les compléter par la pensée critique, la résolution de problèmes complexes et l’intelligence sociale pour résoudre les nouveaux défis… c’est un ensemble évolutif de compétences qui comprennent, entre autres, la curiosité, la communication, la création, les données et l’innovation. (Sparrow, 2018 – texte en anglais)
La définition de la littératie numérique a fait l’objet de nombreux travaux au niveau de la maternelle à la 12e année. L’International Society for Technology in Education (ISTE), qui a commencé à élaborer des normes en matière de technologie éducative pour les élèves en 2007, est la plus connue. Son leadership dans ce domaine a incité de nombreuses provinces et États américains à fonder leurs stratégies de littératie numérique sur le modèle d’apprentissage numérique de l’ISTE. Ce modèle est le suivant :
La littératie numérique est la connaissance et la capacité d’utiliser les technologies numériques pour localiser l’information, évaluer l’information, synthétiser, créer et communiquer l’information, et comprendre les complexités humaines et technologiques d’un paysage médiatique numérique. (ISTE, 2022 – texte en anglais)
En Ontario, la définition la plus récente de la littératie numérique donnée par le ministère de l’Éducation est la suivante :
La littératie numérique implique la capacité de résoudre des problèmes en utilisant la technologie d’une manière sûre, légale et éthiquement responsable. Compte tenu du rôle sans cesse croissant de la numérisation et des mégadonnées dans le monde moderne, la littératie numérique signifie également posséder de solides compétences en littératie des données et la capacité de s’outiller dans les technologies émergentes. (Ministère de l’Éducation de l’Ontario, 2020-23 — texte en anglais)
De cet échantillon de définitions, nous tirons les conclusions suivantes :
- Les définitions de la maîtrise du numérique, de la littératie numérique et de la compétence numérique se recoupent souvent.
- La maîtrise du numérique est un concept plus complexe que la compétence technologique et englobe une variété de facteurs, notamment sociaux, éthiques, de pensées critiques et de créativité.
- L’acquisition de la maîtrise du numérique n’est pas un objectif en soi, mais vise à préparer la clientèle étudiante à participer pleinement à notre société numérique.
- Plus important encore, aucune des définitions n’aborde directement ou indirectement la capacité d’apprendre en ligne, à l’exception de celle de Jisc. La pandémie de la COVID-19, avec le passage du jour au lendemain à l’apprentissage en ligne dans le monde entier, a montré que la capacité d’apprendre en ligne est une compétence essentielle, qu’elle le restera et qu’elle doit être incluse dans toute définition de la maîtrise du numérique.
Compte tenu de l’examen des définitions ci-dessus et de ces conclusions, nous définissons la maîtrise du numérique comme suit :
Les connaissances et les compétences requises pour utiliser la technologie de manière responsable et sûre afin de trouver des informations et d’évaluer leur fiabilité, de communiquer, de créer, d’apprendre et de travailler en ligne, et de comprendre l’effet de la technologie sur nos vies.
Évaluation de la maîtrise du numérique
Étant donné qu’il n’existe pas de modèle d’évaluation de la maîtrise du numérique utilisé par les principales organisations, nous présentons deux modèles d’évaluation de la littératie numérique; les deux adoptent une vision large de la littératie et se recoupent avec la maîtrise du numérique. Ces modèles s’appuient sur la définition de la littératie numérique de l’organisation et fournissent des facteurs clés de la définition qui peuvent être évalués.
Le modèle du Jisc
e premier modèle est celui de Jisc, qui s’appuie sur la définition citée plus haut. Il se compose de six capacités numériques :
- Compétence et productivité numériques (compétences fonctionnelles)
- Maîtrise de l’information, des données et des médias (utilisation critique)
- Création numérique, résolution de problèmes et innovation (production créative)
- Communication numérique, collaboration et participation (participation)
- Apprentissage numérique et perfectionnement (perfectionnement)
- Identité numérique et bien-être (réalisation de soi).
Des profils détaillés (en anglais) ont été élaborés pour suivre le parcours d’étudiantes et d’étudiants depuis leur entrée dans un programme d’enseignement supérieur jusqu’à la fin de leur première année et à l’obtention de leur diplôme. Ces profils peuvent servir de guides pour la planification et la révision des programmes, la préparation des ressources et le développement d’outils d’évaluation.
Par exemple, pour le critère « identité numérique », la clientèle étudiante débutante devrait « prendre en compte son identité et sa réputation numériques lorsqu’elle communique en ligne »; à la fin de la première année, elle doit « comprendre comment les données personnelles sont recueillies et utilisées par différentes plateformes, lire les conditions générales et restreindre le partage des données si nécessaire »; et à la fin des études, la clientèle étudiante doit « effectuer une gestion ordinaire d’au moins un site personnel (par exemple, un blogue, un profil professionnel, un canal, un site Web) ».
Les profils sont suffisamment précis pour permettre la création de questions d’enquête afin d’évaluer les connaissances des étudiantes et étudiants. Avant cela, il faut déterminer où dans son parcours d’études se retrouver l’individu (c’est-à-dire l’entrée, la première année ou l’achèvement du programme); il faudrait ensuite examiner les critères pour s’assurer de leur pertinence dans le contexte ontarien.
Modèle ISTE-Dell
L’ISTE s’est récemment associé à Dell Technologies dans le cadre d’un projet intitulé Get Digital Skills (acquérir des compétences numériques), dont l’objectif est d’améliorer la culture numérique dans les écoles et au sein de la population en général. En partant de la définition de la littératie numérique de l’ISTE (citée plus haut), ils ont développé un modèle basé sur le travail déjà effectué par l’ISTE dans ce domaine, ainsi que sur celui de plusieurs autres organisations reconnues. Ce modèle définit trois grands domaines de compétences en matière de culture numérique :
- Navigation;
- Consommation et création;
- Communication.
Ces domaines comportent six sous-compétences que toute personne devrait acquérir. Un aperçu du modèle est présenté ci-dessous.
- Localiser le contenu
- Évaluer les sources
- Interpréter des informations
- Exprimer des idées
- Communiquer avec les autres
- Naviguer dans les écosystèmes technologiques
Pour chacun des six domaines, le projet a conçu des questions d’autoévaluation en ligne. Des questionnaires sont offerts à la clientèle étudiante, au personnel enseignant et aux proches aidants (parents/tuteurs). Le questionnaire destiné à la clientèle apprenante est généralement axé sur les élèves de la maternelle à la 12e année, mais certaines questions pourraient s’appliquer aux étudiantes et étudiants de l’enseignement supérieur.
Par exemple, une question sur la localisation de contenu est la suivante :
La recherche avancée peut vous aider à obtenir de meilleurs résultats. Dans quelle mesure connaissez-vous les stratégies de recherche avancée telles que la recherche de « mots ou expressions exacts », la recherche de résultats dans une fourchette de dates précises ou la recherche par type de fichier?
- Très familier —J’en sais beaucoup.
- Un peu familier —Je connais quelques astuces.
- Pas trop familier —J’aimerais en savoir plus.
- Peu familier —J’ai beaucoup à apprendre.
Une caractéristique intéressante de ce projet est qu’une fois le questionnaire rempli, des liens vers des ressources numériques pour l’autoapprentissage sont offerts en fonction des réponses données. Cela constitue une récompense extrinsèque pour les individus qui remplissent le questionnaire en fournissant des informations utiles, plutôt que la simple récompense intrinsèque de faire quelque chose à la suite d’une demande.
Aller de l’avant avec l’évaluation
Nous concevons actuellement un modèle qui guidera l’élaboration d’une enquête sur la maîtrise du numérique chez les étudiantes et étudiants de l’enseignement postsecondaire en Ontario.
Ce modèle s’inspire de certains aspects des modèles Jisc et ISTE-Dell. Toutefois, ni l’un ni l’autre ne semblent pouvoir être adoptés dans son intégralité, car la maîtrise du numérique n’est pas le point de mire de ces modèles. En outre, le modèle Jisc est axé sur les compétences dans une discipline scolaire précise, tandis que le modèle ISTE-Dell s’adresse davantage à la clientèle étudiante et au personnel enseignant de la maternelle à la 12e année.
Le modèle guide l’évaluation de la maîtrise du numérique dans sept domaines clés :
- Localiser le contenu
- Évaluer le contenu
- Communiquer
- Créer
- Apprendre en ligne
- Travailler en ligne
- Reconnaître son incidence sur le plan social
La maîtrise du numérique est un ensemble de compétences essentielles que chaque étudiante et étudiant de l’enseignement postsecondaire de l’Ontario doit posséder pour réussir dans notre société. Notre prochaine étape consistera à élaborer et à tester sur le terrain des questions d’enquête pour évaluer les niveaux de compétence.
Références
Chan, B. S., Churchill, D. et Chiu, T. K. (2017). Digital literacy learning in higher education through digital storytelling approach (Apprentissage de la littératie numérique dans l’enseignement supérieur par l’approche de la narration numérique). Journal of International Education Research, 13(1), 1-16. https://doi.org/10.19030/jier.v13i1.9907
Eshet, Y. (2012). Thinking in the digital era: A revised model for digital literacy (Penser à l’ère numérique : un modèle révisé pour la littératie numérique). Issues in informing science and information technology, 9(2), 267-276. https://doi.org/10.28945/1621
Gilster, P. (1997). Digital literacy (Littératie numérique). New York : Wiley.
Sharpe, R. et Beetham, H. (2010). Understanding students’ uses of technology for learning: Towards creative appropriation (Comprendre l’utilisation de la technologie par les étudiantes et étudiants pour l’apprentissage : vers une appropriation créatrice). Dans R. Sharpe, H. Beetham, & S. De Freitas (éditeurs), Rethinking learning for the digital age: How learners shape their experiences (Repenser l’apprentissage à l’ère numérique : comment la clientèle apprenante façonne-t-elle ses expériences) (pp. 85-99). Londres : Routledge.
Spante, M., Hashemi, S. S., Lundin, M. et Algers, A. (2018). Digital competence and digital literacy in higher education research: Systematic review of concept use (Compétence numérique et littératie numérique dans la recherche sur l’enseignement supérieur : revue systématique de l’utilisation des concepts). Cogent Education, 5 (1), 1519143. https://doi.org/10.1080/2331186X.2018.1519143
Centre circle: Compétence et productivité numériques
Purple arm: Maîtrise de l’information, des données et des médias
Orange arm: Création numérique, résolution de problèmes et innovation
Green arm: Communication numérique, collaboration et participation
Blue arm: Apprentissage numérique et perfectionnement (perfectionnement)
Burgundy arm: Identité numérique et bien-être (réalisation de soi).